ORAN, 12 décembre 1950



ACCIDENT DE L'AVRO " ANSON " n° 37


École Jules Renard, classe de Monsieur Bénitez .Nous sommes le mardi 12 décembre 1950, il est 15h30 environ et nous venons de rentrer de la récréation de l'après-midi. Dans la cour, un chantier de maçonnerie est en cours et les quelques ouvriers présents alors, sifflent sur leur échafaudage.
Soudain, nous entendons le vrombissement d'un avion qui passe, semble-t-il, à basse altitude. Instinctivement, nous baissons la tête sur nos pupitres. Nous entendons alors, l'un des maçons, s'écrier : " Mais, il est fou celui-là !"
Cette exclamation est suivie d'un bruit inhabituel et anormal pour un avion. Nous levons la tête et nous voyons par les fenêtres de notre classe, qui donnent sur la rue Cavaignac, vers le sud, de nombreux débris tombant du ciel, qui scintillent au soleil déjà bas sur l'horizon. Nous sommes alors, là-bas, à l'heure solaire et nous étions dans les jours les plus courts de l'année. Notre instituteur, Monsieur Bénitez, s'empresse de nous faire revenir à la réalité, c'est à dire au cours de " Leçons de choses " qui doit clôturer cette journée à 16h30.
Nous saurons, partiellement ce soir, et entièrement le lendemain qu'une terrible catastrophe aérienne s'est produite ce 12 décembre 1950.

Cet appareil, un Avro modèle Anson (1), bi-moteur de la B.A.N. , Base Aéronavale de Lartigue-Tafaraoui, de l'escadrille 56S (2) portant le numéro 37 s'est abattu, disloqué sur Oran et plus particulièrement sur le Plateau saint Michel, occasionnant de sérieux dégâts matériels, mais surtout entraînant la mort de l'équipage en entier soit sept personnes. Et aussi blessant trois personnes civiles au sol.
Cet équipage qui rentrait d'une mission d'entraînement de radio-guidage était composé des trois instructeurs, membres de l'équipage de cet avion et de quatre élèves radio-navigants. A savoir :


L'appareil est parti, normalement, à 13h30 de la B.A.N. de Lartigue pour un exercice de radio navigation qui a pris fin normalement et comme prévu à 15h15. Il était en liaison radio constante avec la base et tout allait bien à bord.
Le Lieutenant Chavanne, chef Instructeur radio à la B.A.N. de Lartigue nous apprendra alors que rien ne laissait supposer un tel accident.

A 15h18, il s'était mis à la verticale de Lartigue et en boucle de présentation. Il signalait alors sa position. A 15h40, c'était le drame. L'avion venait de survoler la Méditerranée, survolait Oran, entre 500 et 600 mètres, vers le sud pour atterrir, mission accomplie, à Lartigue. Il survole alors le Plateau saint-Michel et c'est la catastrophe.
Des bruits sourds, l'appareil semble se déchiqueter, l'aile gauche se replie sur la carlingue et se détache soudain avec l'un des moteurs. Alors, l'appareil complètement déséquilibré finit de se déchiqueter. Et les passants au sol distinguent deux formes humaines se détacher de la carlingue et venir s'écraser, l'une sur la chaussée à hauteur du 36, rue Dutertre (sa montre était bloquée à 15h40), l'autre dans le salon de coiffure, à la même hauteur, de monsieur Jésus Georges, après avoir traversé la toiture. En plus du patron coiffeur, se trouvaient là deux clients, Monsieur Isidore Solès et Monsieur Louis Palomarès, 83 ans. Tous trois blessés, seront évacués, non loin de là à l'Hôpital civil, d'où ils pourront, après les soins d'usage, regagner en soirée leurs domiciles respectifs. La liste des blessés s'arrête là.

Ce même jour, au même moment, Roger Alajarin pilotait au cours d'une autre mission, un SO 95. La tour de contrôle de Lartigue, qui n'avait plus signe de vie de l'Anson 37, lui demande alors de survoler la ville à 300 mètres et de lui signaler s'il voyait un incendie. Il survole alors ORAN, est-ouest et nord-sud sans rien apercevoir d'anormal. C'est au retour à Lartigue, sur le parking, que le commandant de La Morlaix, patron de l'escadrille, la 56S, lui annonce la mauvaise nouvelle du crash de l'Anson 37.
C'est en revenant précipitamment, encore en tenue de vol, pour tranquilliser sa famille qui aurait pu croire que c'était lui qui avait eu l'accident, que Roger Alajarin est arrêté à l'entrée du Plateau saint-Michel à un barrage de police, dû au crash. Là, on lui annonce que " un avion de votre escadrille s'est écrasé ". Il est alors conduit sur le lieu de l'accident. Dans l'atelier Assante, l'avion gît avec un angle de 30°; Quatre corps sont entassés à l'avant derrière le siège du pilote Duval.
La veille, Roger Alajarin avait volé aux commandes de l'Anson 37 avec le même équipage.


Les cinq autres membres de l'équipage seront retrouvés dans les débris de la carlingue de l'appareil qui elle s'est abattue, là aussi en traversant la toiture, sur l'atelier de mécanique de monsieur Assante. Atelier situé 15, rue Hadj Salah. Par bonheur, le personnel ne s'y trouvait plus. L'une des victimes tenait encore dans sa main un crayon.
Par ailleurs, le moteur droit de l'appareil s'écrasait au beau milieu de la chaussée au carrefour de la place Hippolyte Giraud et de la rue Dutertre.
Tandis que l'aile droite arrachait une partie du couronnement de la terrasse du 25, rue Dutertre, l'aile gauche s'abattait sur la terrasse du 19, rue Dutertre.
Un réservoir d'essence de l'appareil tombait quelques mètres plus loin face au 21, rue Dutertre sur une voiture automobile en stationnement, dont le propriétaire, monsieur Walter, venait de descendre et se trouvait à proximité. Sous le choc, le réservoir s'enflammait et mettait le feu aux fenêtres de l'immeuble.
Non loin de là, au 11 rue Hadj Salah, le deuxième réservoir, en tombant sur l'immeuble, prenait feu instantanément et provoquait un début d'incendie qui noircissait la façade de cet immeuble.
D'autres débris, de moindre importance, tombaient en différents lieux de ce quartier du plateau saint Michel, jusqu'au collège Ardaillon. D'ailleurs l'un d'eux tombait dans la cour de l'école de garçons Berthelot où, fort heureusement, là aussi, la récréation venait de se terminer depuis quelques instants et les élèves en furent quitte pour la peur.

La nouvelle de l'accident faisait rapidement le tour du quartier et de la ville. Il attirait sur les lieux du drame une foule immense contenue à distance par un important service d'ordre assuré par la police d'État (notre actuelle Police Nationale), les différents services de police, la gendarmerie et un détachement de troupe. Il est à noter que les pompiers sont intervenus avec une célérité digne d'éloges, sous les ordres du commandant Dehaen.
On notait alors la présence sur place de Monsieur Dray substitut du procureur de la république qui procédait immédiatement aux premières constatations. Avec aussi la présence de messieurs Demange Préfet d'Oran, Fouques - Duparc, Sénateur Maire, l'Amiral Blanchard, le général Gillot, Si Ali vice-Président du Conseil général.

Les corps furent immédiatement transportés à l'hôpital Baudens où une chapelle ardente était dressée et où le Souvenir Français prêtait son dévoué concours. Là, les septs cercueils, recouverts du drapeau tricolore et de fleurs, étaient exposés.
Mesdames Daumont et Hamelin, habitant Oran venaient se recueillir tandis que les compagnons d'Armes des disparus organisaient un piquet d'Honneur.
Dans la journée du 13 décembre diverses personnalités locales dont Madame Maraval - Berthoin présidente de la Croix rouge française, des amis des victimes et de nombreux officiers de la B.A.N. de Lartigue et de la garnison d'Oran se succédaient dans la chapelle ardente pour un dernier hommage.
Les obsèques eurent lieu le jeudi 14 décembre 1950 à 15 h à l'hôpital Baudens. La chapelle de l'hôpital était trop petite pour contenir les autorités civiles, militaires et locales.
L'absoute était donnée par le Père Duchatelet, aumônier de la Marine assisté de l'Aumônier de la Division d'Oran, Barral et de l'Abbé Koger..
Chaque cercueil était porté par six sous-officiers, vers la grande cour. Des fusiliers - marins rendent les honneurs. L'Amiral Blanchard lit les citations de ces soldats morts en service commandé :


Sont cités en ces termes :
" Jeunes élèves pleins de qualités de la jeunesse, ont trouvé la mort en service commandé ".
Puis suivaient les discours d'usage : Commandant de Morlais, commandant la Base Aéronavale de Lartigue. Amiral Blanchard Monsieur Ricaud, Sous préfet.

Voici en guise de conclusion la déclaration d'un de ses amis de la B.A.N. de Lartigue : " Ils étaient sept, pleins d'espoir…
Jean, second Maître pilote conduisait l'Anson,
Il est parti sur ce " zinc " pour le dernier exercice d'une longue série de vols qu'il a effectués au cours de son séjour dans l'Aéronavale. Il était au terme de son engagement et s'apprêtait à partir en permission libérable.
Je l'ai vu la veille du vol tragique, un gars plein d'allant, d'entrain, de gaieté et d'espoir. De cet espoir qui anime et éclaire le visage de tous les hommes qui, pour avoir sans cesse côtoyé la mort, ne croient plus qu'elle peut les frapper avant longtemps, longtemps… une fois leur vie bien remplie.
L'avenir s'ouvrait devant lui riant, fleuri, parfumé, confortable et …sûr.
Et je l'ai revu sous l'amas de ferrailles dans le hangar des ateliers Assante.
Il était étendu à plat ventre, les deux bras tendus en avant. Et il a fallu moins de deux minutes, à 15h38 l'avion était aperçu de La Sénia et la montre de Jean s'était bloquée à 15h40, pour anéantir la vie qui gonflait cet être ardent, courageux, hardi, vaillant. Terrible fatalité !
Et il a fallu moins de deux minutes pour anéantir sept jeunes gens tous pleins de vie et d'espoir. Moins de deux minutes pour plonger brutalement dans la détresse, des familles aux quatre coins de France. Dans la détresse poignante, affreuse, inconsolable devant la quelle on enrage d'être impuissant ! "

Michel Gonzales


(1) ANSON 37
Constructeur, AVRO (G.B.)
Dérivé du civil Avro 652. Première mise en service en 1936.
Premier monoplan de la R.A.F.
Premier avion à train rentrant.
Utilisé pour la reconnaissance, la recherche, le sauvetage jusqu'en 1942.
Puis utilisé pour l'entraînement standard des pilotes et des navigateurs - radios.
11020 appareils construits. 33 appareils ont été équipés avec des moteurs Armstrong-Siddeley de 350 ch ;
Ont été utilisés par l'Aéronautique navale française de 1946 à 1951.

(2) Cet avion a équipé les escadrilles 50S, 52S et 56S de l'Aéronautique navale française.
-Escadrille 50S : Base aéronavale de Lanvéoc - Poulinic. Dissoute en 1964
-Escadrille 52S : Base aéronavale de Khouribam, Maroc jusqu'en 1961 et base aéronavale Lyautey, Maroc. Elle a été recréée en 1983 à la Base aéronavale de Lann - Bihoué
-Escadrille 56S : Lartigue - Tafaraoui.
L'escadrille 56S , une école du personnel volant E.P.V., fut créée le 2 octobre 1948. Les élèves, navigateurs, radios, mécaniciens, après un stage de six mois et un examen, recevaient leur diplômes de personnel non volant.
Les plus doués recevaient, après une instruction complémentaire, leurs " Ailes de navigants ".


La relation, la plus exacte possible, de ce drame a pu être faite grâce : - Au témoignage de Roger Alajarin pilote à la 56 S de qui je tiens ces photos.
- A la consultation des éditions de l' Écho d'Oran et de Oran Républicain des jours suivants l'accident. Cette consultation a eu lieue à la Grande Bibliothèque Nationale à Paris
-A mes souvenirs et notes personnelles.

Photos aimablement prêtées par Roger Alajarin :

Photo n° 1: L'Avro Anson n° 37, de l'Escadrille 56S en formation, alors, au-dessus de Fez au Maroc


Photo n° 2 : L'escadrille 56S à La Base Aéronavale de Lartigue.
Premier à gauche, Jean Raoul Duval pilote de l'Anson 37 lors du drame.
Deuxième à gauche, Roger Alajarin qui pilotait le SO-95 au moment
du drame et qui a survolé la ville pour détecter l'accident.
A l'arrière plan un " Wellington "


Photo n° 3 : Le SO-95


Un complément: Ce texte a attiré l'attention de plusieurs lecteurs :
Jean-Michel AMBROSINO, petit-fils d'Antoine Ambrosino, fondateur de la compagnie de navigation SAP qui nous confie cette anecdote:

Le reportage de l'accident de l'AVRO m'a décidé de prendre contact avec vous pour vous raconter un souvenir à ce sujet

Ce jour là, heure de récréation à l'école Emerat á la Marine (j'avais 7 ans), nous voyons passer un avion, fait encore rare à l'époque pour faire lever la tête des gamins (nous disions alors "une avion!, une avion!"), mais rien qui parût anormal.

Au même moment, mon père Georges (qui fut un des administrateurs du club de foot de l'ASMO) et ma mère Odette (Otilia pour les gens du quartier) se trouvaient au 19 rue Dutertre, dernier étage, en visite chez une tante malade. Ils venaient à peine de quitter l'immeuble et de démarrer quand une pièce de l'avion est tombée sur l'emplacement où avait stationné leur voiture. Cette tante affolée voyant l'aile suspendue au-dessus de sa fenêtre a cru mes parents morts et c'est ainsi qu'en arrivant chez nous ils ont su par téléphone qu'ils avaient échappé de peu à cet accident.


Francis MANUERA raconte:

je me souviens d'avoir vu en 1950 l'avion qui est tombé au plateau st michel et à titre d'information , j'avais 7 ans , et étant à l'école Louis Lumiere rue Bey Mustapha , j'ai toujours vu le moteur au fond de la cour d'école , pendant ma scolarité dans cette école , il était derrière le préau si cela peut vous faire un information supplémentaire , et si cela se trouve il y est encore !

De nouveaux témoignages a propos de cet accident:

J'ai assisté à cet accident depuis l'angle de la rue Dutertre et du Bd Sébastopol je sortais de mes cours au Collège Berthelot et je discutais avec une copine lorsque le bruit anormal d'un avion nous a fait levé la tête et nous avons vu alors l'avion tout prês qui s'est retourné ses ailes se sont détachées il y eu une explosion et j'ai vu un corps tomber juste en face de la Boulangerie Martinez chez le coiffeur et tout cela comme au ralenti dans un film ns nous sommes réfugiées ma copine et moi dans la boulangerie et j'ai ensuite rejoint mon domicile au 25 rue Dutertre vers la Place H Giraud et là j'ai vu le fuselage de l'avion et un moteur en feu, feu qui s'est communiqué à un appartement du rez-de chaussée de la Famille Pérez. J'ai toujours gardé en mémoire cette vue de l'avion se désintégrant il y a eu des corps qui sont tombés dans une menuiserie rue de la Tour d'auvergne. A l'occasion j'en ai parlé à mes enfants et mes petits enfants surtout lorsqu'il y a des informations à la télé qui parlent d'accidents d'avion. - dimanche 4 janvier 2009 17:17 - Mme Josette GOMEZ - MERIGNAC (33)

Chers amis, bien qu'âgé de quatre ans à peine-(je suis du 9 Septembre 46), j'ai un souvenir très précis de cet accident... Pas encore scolarisé (je suis entré directement au préparatoire à 5 ans), j'étais avec ma mère dans notre deux-pièces du 26 Rue de la Fonderie, quasiment rue Cavaignac (je fus d'ailleurs élève de Jules Renard jusqu'à mon entrée en 6e à Lamoricière)- Nous habitions au troisième et dernier étage de l'immeuble et je ne me souviens plus si nous étions sur la terrasse à ce moment précis où si nous y sommes montés en entendant le bruit de l'explosion...Mais je revois ces morceaux d'avion tombant du ciel au loin, presque comme si j'y étais encore... - De Richard SCOTTO lundi 14 septembre 2009 18:44