Le contrebassiste immortel
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Le contrebassiste immortel |
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Incroyable ! Il est encore là ce matin, agrippé au manche de sa contrebasse, le col relevé, à peine protégé du petit vent froid par la toile du bistrot. Je me souviens. C'était en soixante-deux. Je découvrais Paris. J'avais vingt ans et les crocs de Rastignac. J'étais passé rue Mouffetard et il y était déjà. Légèrement appuyé sur l'épaule de sa basse, les yeux fermés, il promenait soigneusement son archet sur le nombril de l'instrument. Et je le retrouve pile poil au même endroit cinquante ans plus tard. Même petites lunettes, même tronche à la John Belushi. Le même je vous dis ! Il n'a pas pris une ride. Le comte de Saint-Germain de la contrebasse ! Il est sûrement là depuis Charlemagne. Si j'osais je lui demanderais si la Pompadour était aussi canon qu'on le raconte ou si Victor Hugo lui a filé une pièce. Mais j'ai peur. Oh, pas qu'il me prenne pour un dingue. Non, j'ai peur qu'il me donne une explication tristement banale sur sa présence au même coin de rue à cinquante ans d'intervalle, dans le genre "c'était mon grand-père" ou une connerie comme ça. Je n'en veux pas. J'ai trouvé mon comte de Saint-Germain, je me le garde. Il fait la manche tout seul. Les gens passent et tout le monde s'en fout. Je me cale dans le coin d'une porte cochère, derrière lui, et je l'écoute. Il joue bien le bougre ! Je crois que je vais rester. Je vais l'accompagner un petit bout de son éternité. |
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