Paméla est amoureuse de moi

Paméla à dix-sept ans et j'en ai soixante. Pourtant, malgré notre différence d'âge, Paméla est amoureuse de moi. Elle a de beaux yeux verts et ronronne quand je la caresse. Elle aime aussi quand je lui gratte le cou. Comme les autres chats.

Sa maman a eu juste le temps de la mettre au monde. Et puis une auto a écrasé sa maman. Ce sont des choses qui arrivent. Alors Annie est entrée dans la maison en serrant un paquet de chiffons sur sa poitrine, elle a posé doucement les chiffons sur la table, et au milieu il y avait deux petites boules avec des pattes roses. Annie a dit :

    Regarde ce que j'ai trouvé !

Elle avait préparé une histoire bien triste avec tout un tas de bonnes raisons pour qu'on garde l'un des chatons, parce que je suis quelqu'un de très dur à convaincre d'adopter un petit chat. Mais elle n'a pas eu le temps de me servir son histoire. J'ai dit :

    On garde le gris.

Je suis vraiment quelqu'un de très dur à convaincre d'adopter un petit chat.

L'autre petit, on ne l'a pas noyé, comme font les sauvages. C'est une copine d'Annie qui l'a gardé. Son petit garçon voulait justement un chat. Ça tombait bien.

Au téléphone, le vétérinaire nous a dit qu'un bébé chat de quelques jours ne pouvait pas survivre sans sa maman, et qu'il allait sûrement mourir. Mais – sommes-nous distraits, tout de même ! – on a complètement oublié d'expliquer ça à Paméla, et la pauvrette était trop petite pour comprendre d'elle-même qu'il fallait qu'elle meure pour que le vétérinaire ait raison. Alors maintenant elle a dix-sept ans.

On est allé à la pharmacie acheter du lait maternisé pour chats. Mais pour le biberon, rien à faire ! même celui de la poupée d'Élise avait une tétine trop grande pour la bouche des petits. En désespoir de cause, Annie a proposé d'utiliser une seringue à insuline. J'ai trouvé que c'était une idée à la noix. J'avais tort. Ça a marché.

Tout compte fait, nous n'avons pas eu trop de mal à nous remettre au rythme du biberon toutes les deux heures. Au contraire, ça nous a rajeunis. À six heures du matin, pas besoin de réveil ! les petits monstres – qui dormaient dans mes pantoufles – connaissaient l'heure du premier service à la minute près. Le barouf qu'ils faisaient !

Le plus drôle, c'était le coup du pipi. Les chatons n'ont pas l'idée de faire ça d'eux-mêmes. C'est leur mère qui les pousse à faire pipi en leur léchant le ventre. Alors nous – on n'allait quand même pas leur lécher le ventre –, on les mettait sur une serviette, couchés sur le dos, et on leur passait une éponge humide sur la bedaine. Et là on avait intérêt à se garer, parce qu'il faut savoir qu'un bébé chat de cent grammes, ça pisse à un bon demi-mètre !

Paméla a une robe d'une seule couleur : un gris assez foncé. Annie déclare à qui veut l'entendre que Paméla est un "faux chartreux [1] ". C'est comme ça que j'ai découvert que ma femme était snob. Mais elle ne veut pas en démordre. Elle est convaincue qu'il y a eu un chartreux dans la famille de Paméla. Alors je dis que c'est possible… au moyen âge, peut-être… et elle me dit que je suis un idiot. Ça aussi c'est possible.

En fait, j'ai dans l'idée que Paméla est juste un chat de gouttière à rayures grises, mais que le fond est de la même couleur que les rayures. Un coup de bol !

Je me réveille tôt, à cinq heures, pour qu'Annie trouve son petit déjeuner servi quand elle se lève pour aller au travail. Pas de danger que je laisse passer l'heure ! Paméla m'appelle de derrière la porte à cinq heures pile. Elle a une très bonne montre. Dommage qu'elle n'ait pas de calendrier pour savoir quand on est samedi ou dimanche ! Le week-end, c'est cinq heures aussi.

Dès que je sors dans le couloir, elle se met à ronronner comme un tracteur et à marcher en faisant des huit autour de mes chevilles pendant que j'avance dans le noir pour atteindre l'interrupteur. Comme ça, j'ai toutes les chances de me foutre la gueule par terre le matin de bonne heure, histoire d'attaquer la journée par un peu de gymnastique.

Ensuite, c'est le rituel des bisous. Pendant que j'allume la machine à café – opération qu'elle juge sans aucun intérêt –, Paméla va s'asseoir aux pieds d'une chaise et me presse d'appels incessants en me fixant d'un regard sévère pour que j'accélère le mouvement. Je n'ai pas d'autre choix que de m'installer sur la chaise. De toutes façons, elle ne me fichera pas la paix avant la fin de la cérémonie. Le rituel est immuable. Elle saute sur mes genoux, je la prends dans le creux de mon bras et je la soulève pour qu'elle ait le museau à la bonne hauteur.

Et c'est parti. Sans cesser de ronronner, elle me lèche l'oreille – je sens le souffle chaud de sa respiration –, la tempe, le cou, la joue… en s'appliquant à ne rien oublier. Comme pour faire sa toilette.

C'est bien connu : les chats ont une langue à râper le parmesan. Dire que les bisous de Paméla sont agréables serait exagéré, mais j'ai fini par en prendre l'habitude. Alors je patiente quelques secondes avant de la reposer par terre. Après tout, ce n'est pas grand chose, quelques secondes. Et ça lui fait tellement plaisir !

Et puis quand même, qu'est-ce que c'est chouette pour commencer une journée, quelqu'un qui vous dit : « je t'aime » !

[1] Le chartreux est gris moyen cendré avec une nuance bleutée.