La ville d'en face
(2007)

Cannes. Bientôt midi. Je traîne sur la Croisette avant d'aller me faire une Régina chez Bortoli - jambon-champignons-mozarelle - avec un demi Valpo bien frais.

La vache qu'est-ce que ça tape ! Sûrement plus de trente-cinq à l'ombre. Mon père disait "Et alors ? Qu'est-ce qui t'oblige à rester à l'ombre ?". En plus je suis nu-tête sous un cagnard pareil. Parlez d'un gland ! Avec mon crâne dégarni, je dégouline de la coupole et la sueur me brûle les paupières. Pas la peine de dégainer mon mouchoir, il est déjà à tordre. Je m'essuie les yeux du revers de la main.

Mais putain qu'est-ce qui m'arrive ? Ça tourne ! Vite, une chaise !

Ah voilà un banc. Je m'installe bien droit, appuyé au dossier, les yeux fermés, et je me force à respirer à fond cinq ou six fois par le nez. Radical contre le coup de bambou. Ouf ça va mieux. Je regarde la mer.

***

Juste en face de moi je vois une ville toute blanche. Ses maisons dégringolent en cascade du haut des collines jusqu'à l'alignement impeccable des immeubles qui dominent le port. Qu'elle est belle !

Des jardins partout le long des pentes, des bouquets de palmiers plus hauts que les terrasses. À droite, une mosquée éblouissante de soleil borde une grande place où se croisent les trolleybus bleus.

Un paquebot sort du port. La plainte profonde de sa sirène répond aux appels des remorqueurs. Des voitures et des camions sillonnent un boulevard de front de mer bordé d'une interminable rangée d'arcades. Ce long demi cylindre alu au niveau du port, c'est la marquise d'une grande gare. Juste derrière dépasse la tour d'un ascenceur public.

Mon Dieu que cette ville est belle ! Là, c'est un square ombragé où un jeune ânier promène les enfants sous les platanes pour quelques francs. Cette jeune femme qui marche en souriant à côté de l'âne ressemble à ma mère. Mais... ce petit garçon à lunettes... sur l'âne...

***

- Monsieur ! Monsieur ! Vous vous sentez bien ?

Une dame très inquiète me secoue doucement l'épaule.

Je suis à moitié affalé sur le côté. Un peu honteux je m'ébroue et rassure la brave dame. Elle me dit que je souriais en dormant.

- C'est à cause de la ville d'en face, je lui explique.

Elle balbutie n'importe quoi et s'éloigne prudemment, persuadée d'avoir affaire à un poivrot.

Bon allez. Je vais chez Bortoli me faire une pizza mais je boirai de l'eau. Le Valpo ce sera pour une autre fois.