- Histoire de statue
La statue équestre de la place du Gouvernement existe toujours...

je l'ai rencontrée !

Tans pis si ce n'est pas un scoop !...
Tans pis si je suis le seul pied-noir qui l'ignorait encore !...
Tans pis si je passe pour un boudjadi de la montagne !... mais je l'avoue :
Je ne savais pas que la statue équestre du Duc d'Orléans érigée à Alger sur la place du gouvernement, devant la superbe mosquée de la pêcherie, trônait maintenant à Neuilly sur Seine, aux portes de Paris.
Je l'ai découverte tout à fait par hasard, au cours d'une promenade avec mon épouse, par un bel après-midi d'automne, en octobre 2003.
Nous remontions tranquillement la superbe avenue Victor Hugo déjà jonchée de feuilles mortes, bras dessus bras dessous, en faisant des commentaires admiratifs sur les somptueuses propriétés à demi cachées par les arbres des parcs privés (il n'y a pas beaucoup de favellas à Neuilly sur Seine).
Puis l'avenue a débouché sur une petite place aménagée en rond-point.

Et je l'ai vue...

Elle était là, qui m'attendait depuis quarante années !

L'ai-je reconnue immédiatement ? je ne m'en souviens pas avec précision mais je ne crois pas. J'ai simplement ressenti comme une impression de déjà-vu, quelque chose de trouble, d'indéfinissable. Cette statue m'interpellait. Elle me disait : "et alors, petit !... tu ne me reconnais pas ?".
J'ai pensé que j'étais peut-être déjà passé par ici longtemps auparavant. J'ai regardé autour de moi, cherchant un indice, un détail qui aurait pu me mettre sur la voie. Mais il n'y avait rien. Rien d'autre que cette statue qui me paraissait si familière.

Et puis j'ai vu à l'angle de la place, une plaque émaillée bleue : "Place du Duc d'Orléans".
Alors j'ai réalisé.

Je me suis assis sur un banc, en silence, un peu tassé par l'émotion, et j'ai retiré mes lunettes embuées pour les essuyer.

- Qu'est ce que tu as ? m'a demandé Annie, toujours inquiète de la moindre anomalie de mon comportement depuis ma crise cardiaque.
- Rien... rien... je viens juste de retrouver un ami... un très vieil ami que je n'avais pas revu depuis Alger.

Comme nous n'avions rencontré personne, ma réponse ne l'a pas rassurée et elle a sans doute pensé que dorénavant je ferais bien de restreindre ma consommation d'anisette à l'apéritif.

Alors je lui ai expliqué. Je lui ai dit tout ce que je savais.
Enfin... le peu que j'en savais.


Le 28 octobre 1845 fut érigée à Alger, sur la place du Gouvernement, une statue équestre de Ferdinand Philippe, duc d'Orléans, artisan de la conquête de l'Algérie, fils ainé du roi des français Louis-Philippe et qui lui aurait sans doute succédé si la révolution de 1848 n'avait mis fin au régime monarchique en France, et surtout s'il n'avait pas trouvé la mort six années plus tôt dans un banal accident de la circulation à Neuilly sur Seine.
Pendant cent dix-sept ans, l'infortuné duc d'Orléans fit ainsi partie de la vie algéroise, avec pour décor le bleu profond de la méditerranée et la blancheur éclatante de la "belle mosquée" Djemâa el Jdid (célèbre dans toute la région pour les multiples restaurants de poissons et de fruits de mer de la "Pêcherie" qui l'entouraient en contrebas).
Puis vint la guerre... ne nous y attardons pas !

En 1963, la statue fut rapatriée et sans doute simplement remisée quelque part à l'abri des intempéries, au château de Versailles paraît-il.

Elle y restera dix-huit années...

Le fait que le jeune duc ait trouvé la mort à Neuilly sur Seine ne devait rien au hasard. Il y occupait probablement une résidence puisque les ducs d'Orléans portaient également le titre de comtes de Neuilly.

C'est sans doute la raison pour laquelle, en 1981, sur la proposition de son maire monsieur Achille Peretti, la ville prit l'heureuse initiative d'extraire la statue de sa retraite et de lui redonner un cadre digne de sa beauté et de son histoire.

Hommage était ainsi rendu à la ville de Neuilly, au duc d'Orléans, à l'art (car l'oeuvre est magnifique de majesté, de légèreté et de mouvement), à l'histoire de la présence française en Algérie, et par là-même aux rapatriés qui retrouvaient avec l'émotion que l'on imagine ce splendide monument qui avait orné durant si longtemps la place la plus populaire de leur capitale.

Pour la revoir, il suffit de se rendre Place du Duc d'Orléans, à Neuilly sur Seine (92).
A moins de ne pas rechigner devant un peu de marche à pied, la voiture est conseillée car les stations de métro les plus proches, Anatole France et Sablons, ne sont tout de même pas à côté.

Pour la photo, privilégier plutôt les premières heures d'une matinée ensoleillée (il n'en manque pas à Paris quoi qu'en disent les mauvaises langues) car la statue fait face à l'est, ou peu s'en faut.

Notons au passage que, par un de ces hasards malicieux dont la vie a le secret, l'écrivain algérois Roland Bacri demeure à un jet de pierre du monument représenté sur la couverture de son livre "Les Rois d'Alger".
Même les statues peuvent rêver...
Rémy Laven
(novembre 2003)