L'histoire
Mon Dieu, quarante deux ans déjà !

Juin 1958

Le soleil d'Algérie s'écoule en nappes chaudes par les hautes fenêtres de cette salle de classe ou rien ne nous est encore familier. En attendant que les sujets nous soient distribués, nous détaillons ce décor insolite avec la curiosité un peu inquiète des étrangers : les carreaux de céramique aux arabesques bleues, ce bâtiment étrange avec sa rotonde mauresque et ses longues ailes blanches largement ouvertes, ses jardins parfumés aux allées bordées de fusains...

Nous sommes quelques dizaines à nous présenter au concours d'entrée à l'Ecole Normale d'Instituteurs de Bouzaréah ; la plupart par vocation, d'autres moins, mais tous fortement encouragés par notre entourage car à l'époque le "maître d'école" fait incontestablement partie de l'élite du village aux côtés du docteur, du maire, du pharmacien et du contrôleur des contributions. La grand-mère et l'oncle Fernand ont appuyé le choix de nos parents par des arguments indiscutables : "Ti'auras la 'oiture ! Et pis trois mois d'vacances, la putain ! Tu t'rends compte ?".

Octobre 1958

L'appel des admis. Un murmure accompagne l'énoncé de certains patronymes rares. Il tourne carrément au brouhaha à Juan de Mendoza Jean-louis ; on tend le cou pour apercevoir l'hidalgo espéré mais ne sort du groupe qu'un garçon comme les autres dont personne ne sait encore qu'il sera l'un des plus chouettes copains de la promo.

Aucun d'entre nous ne peut non plus imaginer que cette promotion 58-62 sera la dernière à pouvoir boucler ses quatre années de formation en Algérie. Les événements tragiques vont se précipiter. Dans quatre ans, le vent impitoyable de l'histoire chassera ce peuple joyeux hors de sa terre natale.

Mektoub ! Nous l'ignorons encore... Dieu merci !

1962-1987

Vingt cinq années s'écoulent sans parvenir à nous séparer totalement. Les quatre ans passés à nous débattre ensemble au milieu de ce tourbillon de drames, de deuils, d'espoirs et de désespoirs ont tissé des liens plus forts que l'exil. Nous l'avons vaincu.

Certaines retrouvailles doivent tout à une profonde amitié, une volonté pugnace de conjurer le sort le plus vite possible, de ne pas se perdre. C'est ainsi que j'ai vu débarquer le grand Jean-Claude Terlizzi à Layrac (Lot & Garonne) le jour même de mon mariage, en 1964. Quelle merveilleuse surprise... à en pleurer de joie !

Le hasard joua aussi son rôle. En 1963, Jean-Jacques Martimort et sa clarinette vivaient à 30 kilomètres de chez moi. Rencontre, embrassades, etc. Nous jouames dans le même orchestre (Gils Robotti, d'Alger) pendant trois ans, et puis la vie nous sépara de nouveau mais ceci est une autre histoire.

Note : Grâce à la visite surprise de Jean-Claude, le bal de mon mariage fut animé par les deux tiers de l'Original Bidule Band d'Alger : Jean-Jacques Martimort à la clarinette, Jean-Claude Terlizzi à la guitare, Michel Redon (de Maison Carrée) au piano et moi au trombone. Ne manquaient que Pacifico à la trompette et José Gonzales à la batterie pour reconstituer le petit orchestre qui fit les beaux soirs de la radio et de la télé algéroise.

C'est aussi le hasard qui me fit découvrir le restaurant de la rue de Ponthieu appartenant à José "Champs" Gonzales et ou nous passames de sévères soirées avant sa fermeture. J'y ai déjeuné une fois avec Jean-François Caratini (jamais revu depuis) et une autre fois avec Georges Bégou (voir plus loin). La principale difficulté de ces agapes chez José était de parvenir à régler son addition.

On ne peut nier que le boom du téléphone des années 70 fit beaucoup pour faciliter nos retrouvailles, sans parler du téléphone arabe, toujours aussi performant.

Quelques copains de l'ENIB s'étant fait un nom dans les media, l'art, la littérature ou les sciences, les retrouver ne fut qu'une affaire d'audimat. C'est ainsi que je découvris Georges Bégou à la télé ou il est toujours responsable de certaines chroniques artistiques sur France Télévision. Bégou était de la promo 56 je crois. Il écrivait les textes de mes chansons à l'EN et souvenez-vous ! c'est lui qui lança notre journal Au Hasard.

C'est aussi une interview de Jean-Claude Golvin par Jean Bertho qui révéla à ses camarades de promotion le fulgurant parcours de Jean-Claude dans l'archéologie et l'égyptologie.

En ce qui me concerne, je fus un peu déçu que mes dizaines de passages à la télé, ma participation aux grandes tournées d'été (Europe 1, RMC) et aux festivals de jazz ne donnent pas plus de résultats sur ce plan. Néanmoins, Jacky Trentinella vint me voir jouer un soir au caveau de la Huchette et le festival de St Raphaël (qui programma notre orchestre quinze années d'affilée) me permit de retrouver Dédé Gonzales d'abord puis Michel Ponceau un peu plus tard.

Bref, en 1987, bien avant Internet, le réseau des anciens de l'ENIB était déjà bien étoffé et l'idée d'une réunion s'imposa tout naturellement.

1988

C'est Dédé Gonzales, appuyé par Jean-Pierre Esquerre et Georges Bouanna qui lança la première réunion des anciens à Sanary.

Devant le succès de cette première rencontre, il fut décidé de la renouveller chaque année dans un lieu différent, l'organisation en étant confiée à un normalien "régional de l'étape".

2000

C'est ainsi que cette dernière année du millénaire nous réunit les 22 et 23 juillet à Port-Vendres, aux bons soins de Jean-Louis Sarthe et d'Hélène.

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